Des toupies pour le souffle
- Labo DesPossibles
- 23 juin
- 6 min de lecture
Le "Labo des Possibles" du Centre Ressources et d'Appuis "ScoPoly" met à disposition des adaptations techniques simples permettant d’améliorer les apprentissages ou la vie quotidienne des enfants polyhandicapés grâce à l'impression 3D.
Nous contacter : contact.labodespossibles@gmail.com
Introduction
Les enfants en situation de polyhandicap rencontrent souvent des difficultés respiratoires importantes, aux causes multiples et interconnectées. Ces troubles affectent leur confort, leur santé, mais aussi leur communication et leur participation aux activités du quotidien. Dans ce contexte, stimuler la fonction respiratoire par des moyens ludiques et adaptés représente un enjeu thérapeutique et éducatif majeur.
C’est à partir de ce constat qu’est né le projet des toupies activées par le souffle : une initiative mêlant de la rééducation, de l’inclusion et de la technologie. Ce projet vise à proposer un outil simple, accessible et porteur de sens, à la fois pour soutenir les capacités respiratoires et pour favoriser l’engagement dans une dynamique active d’apprentissage.

Contexte
Le projet des toupies activées par le souffle est né d’un constat clinique : les élèves en situation de polyhandicap présentent très fréquemment des troubles respiratoires complexes et multiples. Chez ces enfants, les dysfonctionnements respiratoires d’origine neurologique centrale sont courants. Ils s’accompagnent souvent de troubles musculo-squelettiques, de déformations thoraciques et rachidiennes, ainsi que de difficultés digestives et alimentaires. Ces dernières incluent notamment des troubles de la déglutition, un reflux gastro-œsophagien, des fausses routes, ainsi qu’une forte prévalence d’infections pulmonaires. Ces complications sont à la fois les causes et les conséquences de leurs difficultés respiratoires. (Estournet-Mathiaud, 2017; Gautheron et al., 2015)
La respiration des enfants polyhandicapés est souvent bruyante et encombrée. Ils manquent de force pour effectuer des gestes réflexes comme la toux ou l’éternuement, ce qui complique davantage le drainage des sécrétions. La rigidité et les déformations de la cage thoracique aggravent encore ces difficultés, rendant indispensable la mise en place d’activités spécifiques pour stimuler leur fonction respiratoire.
Objectif du projet
Dans ce contexte, des jeux basés sur le souffle, mobilisant les lèvres, les joues et la fermeture de la bouche, peuvent représenter une approche thérapeutique ludique et efficace. Ces exercices permettent non seulement de renforcer la continence salivaire, mais aussi de prévenir certaines complications physiques telles que la déshydratation, les lésions aux commissures labiales ou encore les irritations au niveau des plis du cou. Sur le plan social, ils participent à une meilleure qualité de vie en réduisant l’inconfort, les odeurs désagréables ou encore le sentiment de malpropreté souvent ressenti. (Rofidal, 2022)
De plus, il s’agit d’un prémisse pour effectuer des sons.
C’est dans cette optique que nous avons conçu des toupies à activer par le souffle. En plus de leur intérêt thérapeutique, ces jeux visent à favoriser le lien social, la communication et les habiletés nécessaires à la vie quotidienne. Le projet s’inscrit également dans la continuité des actions portées par le Centre Ressources et d’Appui “ScoPoly”, notamment autour de l’adaptation de jeux de société pour les enfants en situation de polyhandicap.

Processus de modélisation et d'impression 3D
Le prototype de la toupie a été imaginé et développé par une équipe d’étudiants de l’École Polytechnique. En stage au sein du CoWork’HIT, un centre dédié à l’innovation, aux expertises et aux moyens techniques liés au handicap, ils ont mené ce projet dans une démarche d’ingénierie engagée et collaborative. Pour concevoir l’objet, ils ont utilisé le logiciel de modélisation 3D Fusion 360.
La phase de conception s’est déroulée en plusieurs étapes. Elle a débuté par une réflexion sur les besoins spécifiques des élèves en situation de polyhandicap. Les étudiants ont ensuite conceptualisé la toupie et ses différentes variantes, notamment avec des motifs animaliers personnalisables. S’en sont suivis la modélisation numérique, puis de nombreux essais et ajustements. Ce travail rigoureux de recherche et de prototypage a permis d’aboutir à un objet fonctionnel, esthétique, ergonomique, et sensible aux souffles les plus légers. La fabrication s’est appuyée sur l’impression 3D avec des filaments de PLA.
Nous avons souhaité que le design de la toupie soit entièrement personnalisable. Chaque enfant peut choisir deux couleurs et un motif animalier à placer sur le dessus. Cette personnalisation favorise l’engagement, stimule la motivation et facilite l’appropriation de l’objet. En créant une toupie unique, l’enfant ressent de la fierté, ce qui renforce l’estime de soi et encourage la participation.
Sur le plan technique, la toupie a été pensée pour être simple d’utilisation. Elle réagit à un souffle léger et ciblé, ce qui la rend accessible même aux enfants ayant une capacité respiratoire réduite. Ce niveau de sensibilité permet à l’enfant d’expérimenter, de progresser à son rythme et de voir immédiatement les effets de son action. Cela renforce la compréhension du lien entre cause et effet.

Résultats et constatations
Nous en sommes aux premières étapes de l’expérimentation des supports pour souffler sur les toupies. La toupie s’intègre dans un ensemble d’activités visant à aider l'élève à développer sa capacité à souffler, comme souffler dans une paille dans un verre, déplacer une plume avec l’air, ou encore éteindre une bougie. En cas de difficulté, l’enfant peut commencer par faire tourner la toupie avec la main, pour comprendre son fonctionnement et se familiariser avec l’objet, tout en poursuivant les autres exercices en parallèle. Il est aussi possible d’utiliser une paille pour souffler sur la toupie, ce qui permet de mieux diriger le souffle.

Pour encourager l’engagement des élèves et faciliter l’acceptation de l’aide technique proposée, nous avons fait le choix de les impliquer directement dans la conception de leur propre toupie. L’objectif est de transformer cet outil en un objet personnel, porteur de sens, et non en un dispositif imposé. Grâce à leurs outils de communication adaptés, chaque élève peut choisir deux couleurs ainsi qu’un motif animalier à apposer sur sa toupie. Cette première étape de personnalisation stimule la créativité, renforce le sentiment d’autonomie et crée un lien affectif avec l’objet.
L’implication des élèves ne s’arrête pas au choix esthétique. Ils sont également invités à découvrir le processus de fabrication, en participant à l’impression 3D. Lorsqu’ils en ont la possibilité, ils peuvent insérer les bobines de filament aux couleurs choisies, sélectionner leur fichier, lancer l’impression, puis activer un minuteur pour suivre le temps de production. Une fois la pièce imprimée, ils reviennent pour l’observer, la décoller du plateau, puis l’utiliser de manière ludique.
Ce parcours, à la fois motivant et concret, permet de développer plusieurs compétences : prise de décision, manipulation d’outils numériques, coordination motrice, patience, et surtout, la satisfaction de créer soi-même un objet fonctionnel. C’est également une façon de valoriser les capacités des élèves et de les rendre pleinement acteurs du projet.
Enfin, concernant les effets sur les capacités de souffle, les observations sont en cours. Nous compléterons cette partie progressivement, à mesure que l’expérimentation avance.
Nous avons également le projet de créer des cartes "mes petits rituels du souffle", qui seront prochainement téléchargeables en "mallettes poly'pédagogiques" (d'ici fin 2025). Ces cartes permettront de travailler chaque jour durant un temps court sur le souffle.
Conclusion
Le développement des toupies activées par le souffle s’inscrit dans une démarche globale centrée sur l’élève, ses besoins, ses compétences et son implication. En combinant approche thérapeutique, ludique et pédagogique, le projet crée un environnement favorable à la progression individuelle, tout en renforçant l’estime de soi et le plaisir de participer.
Les premiers retours d’expérimentation sont encourageants, tant sur le plan de la motivation que de la mobilisation du souffle. Les effets sur les capacités respiratoires seront documentés au fil du temps, afin d’enrichir l’analyse et d’adapter l’outil aux profils les plus variés. Cette initiative illustre l’importance d’un design centré sur la personne et confirme que la technologie, mise au service de l’inclusion, peut devenir un levier puissant d’épanouissement et d’autonomie.
Références
Estournet-Mathiaud, B. (2017). Chapitre 44. Les troubles respiratoires et leurs traitements chez la personne polyhandicapée:Au service d’un projet de vie global. In La personne polyhandicapée (p. 785‑790). Dunod. https://doi.org/10.3917/dunod.ponso.2017.01.0785
Gautheron, V., Mathevon, L., Bayle, B., Boulard, C., Paricio, C., Seeman, E., & Dohin, B. (2015). Problèmes respiratoires des personnes polyhandicapées : Le point de vue du médecin de médecine physique et de réadaptation. Motricité Cérébrale : Réadaptation, Neurologie du Développement, 36(2), 49‑53. https://doi.org/10.1016/j.motcer.2015.03.001
Rofidal, T. (2022). 14. Difficultés de la motricité bucco-faciale. Actualité du secteur médico-social, 175‑185. https://shs.cairn.info/l-alimentation-de-la-personne-polyhandicapee--9782749273174-page-175
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